La décision du peuple équatorien de mettre fin à l'extraction pétrolière dans le parc national Yasuní implique dorénavant de nouveaux défis : comment récupérer un territoire sacrifié et rendre justice aux zones affectées et aux peuples autochtones?
Le 20 août 2023, le peuple équatorien s'est rendu aux urnes pour des élections anticipées concernant le président et les représentants à l'Assemblée nationale. Deux consultations populaires eurent également lieu à l’occasion. La première à Quito, dans le but de freiner une entreprise minière dans la zone du Chocó-Andino, et la seconde, à l'échelle nationale, pour savoir si le peuple souhaitait laisser le pétrole dans les sous-sols de ce que l'on nomme le « bloc ITT », situé dans le Parc National Yasuní. Près de 60% des votants se sont exprimés en faveur du « oui ». Cela signifie que dans un délai d'un an, les puits de pétrole doivent fermer, que l’infrastructure doit être retirée et qu’un processus de réparation de la zone affectée doit être évoqué.
Le Parc National Yasuní a une des biodiversités les plus denses du monde et des populations indigènes y habitent – notamment les Tagaeri et les Taromenane qui vivent en isolement volontaire. Les sous-sols du Yasuní contiennent également de grandes quantités de pétrole et le territoire compte trois blocs pétroliers. Le bloc 16, qui est passé des mains de REPSOL à l'entreprise étatique équatorienne, le bloc 31, qui a très peu d'importance et l'ITT ou bloc 43, sous la direction de l'entreprise étatique PetroEcuador. L'extraction de ses gisements, dont les réserves atteignaient près de 900 millions de barils de pétrole a débuté en 2016. Ce pétrole est très lourd. Son extraction demande par conséquent énormément d'énergie et ce processus est synonyme de quantités très importantes de déchets d'eau toxiques et d'autres polluants.
Pour ces populations et pour la lutte de nombreuses organisations et collectifs, la victoire du Yasuní a été un triomphe très attendu et émouvant. Or, comme tout succès, il est aussi synonyme de défis.
Tout d’abord, le bloc 43, Ishpingo-Tambococha-Tiputini (ITT), dans le Yasuní, est une zone où l'on a construit une enclave pétrolière qui devra être démantelée et ôtée du lieu. Qu'est-ce qu'implique ce retrait ? Comment récupère-t-on un territoire sacrifié ? Quelles sont les actions de justice pour affronter les abus commis contre la nature et les peuples dans le Yasuní ?
Apprentissages
Le débat sur la consultation populaire fut très large et la question de l’extractivisme est devenu un axe central du processus électoral. Bien que la plupart des candidat.e.s à la présidence se soient ouvertement opposé.e.s au maintien du pétrole sous terre et que les grands médias aient clairement tenté de convaincre la population de voter contre, la réponse du peuple fut positive : l’électorat vota à 59% en faveur de cette proposition. Aucun des candidats n’a reçu ce même taux de soutien.
Selon ce qui est spécifié dans le paragraphe 6-22-CP/23 de la Cour Constitutionnelle, en cas de victoire du « oui » lors de la consultation pour le Yasuní, l’Etat est contraint à un retrait progressif et ordonné de toute activité en lien avec l’extraction de pétrole dans un délai d’un an à compter de la notification des résultats officiels. L’Etat ne pourra donc pas non plus exercer des actions visant à débuter de nouvelles relations contractuelles pour continuer l’exploitation du bloc 43.
La consultation sur le devenir du Yasuní nous lègue donc divers apprentissages :
• Les batailles sont longues, difficiles et doivent être livrées à de nombreuses échelles. Or, il est bel et bien possible de construire une conscience écologique et sociale. Nous pouvons vaincre les forces rétrogrades qu’imposent le culte du capitalisme et l’extractivisme, fer de lance de l’accumulation et de la dépossession.
• La dispute pour le futur revient à préserver la vie et la nature, qui ne nous est ni lointaine, ni étrangère. Ce sont les forêts et ses populations, les gens et les fleuves, les divers êtres et les relations sur nos territoires qu’il faut préserver. La nature n’est pas une adversaire, mais une alliée. Les désastres actuels et futurs ne sont pas naturels, ils sont une construction d’actions et d’inactions globales et locales.
• Les transitions – déjà inévitables – doivent mettre à l’ordre du jour non seulement le ralentissement des frontières extractivistes, mais aussi récupérer les territoires sacrifiés et les restaurer. Il ne s’agit pas d’une seule bataille pour le futur mais bien d’une lutte actuelle aspirant à la reconstruction de qui a été abîmé, à la récupération de la capacité d’auto-regénération de la nature, à l’autodétermination des peuples sur les territoires et leur autonomie dans la solution des problèmes et conflits.
Plusieurs tentatives de non-respect du mandat populaire ont déjà été observées, certains ont également affirmé qu’il était impossible de l’appliquer. L’ex-ministre de l’énergie, Guillermo Lasso, a même avancé que « jamais dans l’histoire du monde, on a cessé d’exploiter un gisement permettant de produire plus de 60 000 barils par jour ». Toutefois, l’entreprise Petroecuador a déjà présenté le chronogramme de fermeture et envisage de commencer à le mettre en œuvre le 31 août 2024. Cela ouvre une fenêtre de temps pour se préparer à ce processus et le surveiller sur le territoire même.
L'année 2024 sera une année très active au cœur du Yasuní avec notamment une visite de la Cour Interaméricaine des Droits Humains aux populations en isolement volontaire, avant d’émettre un jugement concernant le manque de protection de la part de l’Etat. Les peuples vivant dans le Yasuní signalent effectivement le non-respect des droits économiques, sociaux et culturels et la dépendance à l’industrie pétrolière.
Il faut également mentionner la pression des groupes de pouvoir (lobbies) de l’industrie pétrolière qui rechignent à perdre une source de revenus. Des chiffres sont alors donnés – sans aucune explication – sur les coûts du démantèlement et beaucoup parlent de nouveaux scénarios de corruption. Il n’y a pas d’information sur ce que l’industrie nomme « actifs et passifs » et il est complexe de savoir quelles infrastructures ils comptent retirer ou pas.
2024 sera aussi une année de nombreuses réflexions et propositions des militant.e.s pour la vie et la nature, probablement avec la complicité et l’aide de la nature elle-même. Il s’agira de moments propices pour repenser la construction de l’utopie et la reconstruction de l’autonomie et de la souveraineté. Une opportunité de créer des moments et espaces pour rendre justice aux zones affectées par les activités pétrolières avec la solidarité de l’ensemble du pays, et surtout, des moments pour repenser depuis le bas les coûts et impacts réels de ces opérations pétrolières, de l’exploration jusqu’au retrait et la réparation intégrale.
En parlant des opérations pétrolières, nous savions qu’il y avait une série d’études et de procédés que les entreprises devaient présenter pour obtenir une licence. Une de ces études était le plan d’abandon, nous ignorions cependant que par « abandon », l’entreprise planifiait simplement de noyer les plateformes ou d’abandonner les puits.
Nous considérons à l’inverse qu’une réelle réparation du Yasuni-ITT signifie tout retirer, pour que tout retourne à un état similaire à ce que les zones étaient avant la réalisation de ses activités qui n’auraient jamais dû exister. Il faut démanteler l’infrastructure, la retirer, réhabiliter les écosystèmes, restaurer, réparer, récupérer l’autonomie pour les peuples et pour la nature.
E. Martínez
Acción Ecológica
Illustration : Exploitation pétrolière en pays Waorani, Equateur.
©ICRA International/Fondation Anako