Héritiers directs de la société Pré-Colombienne des Tayronas, avec les Arhuacos (Ijkas), les Wiwas (Arsarios) et les Kankuamos, les Kogis (Kagabas) vivent repliés dans les hautes vallées de la Sierra Nevada de Santa Marta où ils observent les “petits frères”, ainsi qu’ils appellent les non-indigènes, déchirer les trames de la vie.
La Sierra Nevada de Santa Marta est considérée comme un des plus importants hotspots de biodiversité au monde. Mer, montagnes, glaciers, paramos, forêt tropicale, vents alizés, tissent sur les versants de la sierra, une étonnante diversité d’écosystèmes, dont la faune et la ore recèlent encore nombre de mystères.
Les Kogis, Arhuacos, Wiwas et Kankuamos sont les peuples racines de la Sierra Nevada de Santa Marta, au Nord de la Colombie. Ils descendent des Tayronas, l’une des plus grandes sociétés précolombiennes du continent sud-américain à l’image des Incas, des Mayas ou des Aztèques. Pour eux, la Sierra Nevada représente le cœur du monde, la Mère Terre, qui leur a transmis le code moral et spirituel qui régit leur civilisation et dont ils se considèrent les gardiens.
Il est difficile de connaitre précisément le nombre, la diversité et la localisation des différentes communautés précolombiennes qui peuplaient les contreforts de la Sierra, avant l’arrivée des conquistadores. Certains travaux de recherche menés par des anthropologues, parlent de traces de civilisations vieilles de plus de 12000 ans, d’autres évoquent des migrations en provenance de l’actuel Guatemala. Une hypothèse que semble accréditer des mots de vocabulaires d’origine Mayas, identifiés dans la langue Kogis, et les similitudes entre les Kogis, et les Lacandons, derniers survivants de la civilisation Maya, vivant dans le Chiapas, à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Si l’histoire a gardé le souvenir d’une seule appellation, les Tayronas pour désigner les habitants précolombiens de cette partie de l’actuelle Colombie, il semble que le nombre et la diversité des communautés présentes sur les côtes caraïbes aient été beaucoup plus importants.
Tout en parlant des langues très différentes, les quatre communautés qui vivent encore dans la Sierra fonctionnent encore sur les mêmes principes culturels et philosophiques, les principes de la “Mère Terre”.
• Ses membres font des rituels et des offrandes pour garder l’équilibre et l’harmonie avec la “Mère Terre”.
• Ils pratiquent de longs rituels de “confession” ou neshi, à savoir la verbalisation des pensées ou actions négatives qui pourraient porter atteinte à l’équilibre des relations, entre les membres de la communauté ou avec la “Mère Terre”.
• Ils perpétuent la formation de mamas et de sagas (chamans hommes et femmes) à la fois, juges, philosophes, historiens, médecins, intermédiaires avec la “mère” et gardiens des équilibres de la communauté.
• Ils considèrent le territoire comme un “corps” territorial avec lequel il convient de rester en relation, condition du maintien de l’équilibre.
• L’usage du poporo (hommes) et du tissage (femmes) est pour eux à la fois un symbole et une pratique qui aide les membres de la communauté à travailler leur pensée, préalable pour conscientiser la “mère”, son harmonie, et de leur responsabilité pour garder cette harmonie.
L’histoire raconte que, pressés et contraints de se replier dans les hautes vallées de la Sierra Nevada face à la violence destructrice de la colonisation, les Kogis, les Wiwas, les Arhuacos et les Kankuamos auraient passé un “pacte” secret. A trois de ces communautés aurait été confiée la lourde responsabilité de faire face aux vagues destructrices de la modernité pour protéger la quatrième, les Kogis, afin qu’ils préservent le plus possible leurs connaissances ancestrales. A charge pour les Kogis de repartager ces connaissances, lorsque les temps seront venus. Et les temps sont venus, puisqu’aujourd’hui, les mamas Kogis forment régulièrement les mamas des autres communautés.
Une région exceptionnelle
Située à l’extrême Nord de la Colombie, La Sierra Nevada de Santa Marta est la plus haute montagne du monde en bordure de mer (près de 5800 m d’altitude à 42 kms de la mer des caraïbes). Sa localisation, sa forme, une pyramide aux parois vertigineuses de 80 km de côté qui s’étend sur une surface de près de 12 230 km², la variété de ses climats, font de cette île montagneuse, cernée par la mer et les déserts, un monde à part à la biodiversité exceptionnelle. Il s’agit du “hot spot” de biodiversité le plus irremplaçable au monde pour la conservation des espèces menacées selon les études de l’UICN.
Mais cette région exceptionnelle et les peuples autochtones qui l’habitent sont fortement menacés. Depuis le 16ème siècle, ils tentent de résister aux attaques successives : l’arrivée des colons, les tentatives d’évangéliser et de “civiliser les Indiens”, les pilleurs de tombes. Puis le conflit armé et le narcotrafic tenu par les paramilitaires et la guérilla. Ils ont dû faire face à l’accaparement et la privatisation de leurs terres, quand cette idée était impensable dans leur culture.
Depuis les années 1970, les projets extractifs et mégaprojets se multiplient, dans un modèle réduisant la nature à des ressources naturelles à exploiter : on recense 350 titres et demandes de titres miniers. Sur les contreforts de la Sierra, la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde, El Cerrejón, contamine l’air et l’eau et affecte durement leurs voisins du peuple Wayuu. Plus récemment, de nouveaux dangers se sont accentués : la “modernité” envahissante, le tourisme de masse et l’urbanisation galopante.
Pour tenter protéger leur territoire, les peuples de la Sierra s’organisent. En 1973, ils ont obtenu la reconnaissance de la “Ligne Noire”, qui délimite leur territoire ancestral en reliant différents sites sacrés. Plusieurs lois et décrets censés les protéger ont été promulgués, des réserves indiennes ont été créées. Dans les faits, les attaques contre leur territoire et ceux qui le défendent s’intensifient.
Le territoire, un corps vivant
Pour les peuples de la Sierra, le territoire doit être protégé de manière intégrale car la planète est un corps vivant, macrocosme du corps humain, qui contient l’ensemble des organes nécessaires à la vie. Les roches seraient l’équivalent du système osseux ; la végétation, du système pileux ; le vent, du système ventilatoire et les cours d’eau, des différents liquides qui traversent le corps humain. Par exemple, pour les Kogis, “le charbon est le cerveau de La Mère, et ils le retirent. C’est pourquoi elle nous fait mal penser, mal agir, parce que son cerveau s’épuise.”