Il est douloureux de constater qu’au Pérou nous sommes très loin de gérer l’Amazonie de façon responsable vis-à-vis des futures générations et avec la collaboration des neuf pays qui possèdent des territoires dans le bassin de l’Amazonie. Les principaux obstacles à cela sont les limites de notre souveraineté nationale, comme nous l’avons à nouveau constaté lors de la dernière campagne mensongère qui a conduit le Congrès de la République à renoncer à ratifier l’Accord d’Escazú, le plus important traité international destiné à protéger l’environnement en Amérique latine.
Néanmoins, il faut reconnaître que nous avons de plus en plus de bonnes informations pour orienter les décisions gouvernementales sur l’Amazonie, non seulement pour veiller sur la vie de ceux qui y vivent mais aussi pour protéger la planète. Dans cette optique un rapport de MapBiomas Amazonie signale que, de 1985 à 2020, la région amazonienne a perdu 17% de sa végétation, essentiellement en raison de la déforestation. Ce chiffre indique que nous sommes très près d’atteindre le point d’inflexion qui, selon le Panel scientifique pour l’Amazonie, se situe entre 20 % y 25 % de déforestation totale, ce qui entrainerait une spirale d’impacts sans précédents.
Le bassin de l’Amazonie péruvienne a une surface de 96,6 millions d’hectares ; 75% de tout le territoire national. De 1985 à 2020 le pays a perdu 1,9 millions d’hectares de forêt, l’équivalent de la surface de la Slovénie, et son usage pour l’élevage a augmenté de 2,6 millions d’hectares, ce qui est presque l’équivalent de la surface de Haïti.
Les données relevées signalent également l’exploitation minière comme une des principales activités responsables de la déforestation et de la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes amazoniens. Dans le cas du Pérou l’exploitation minière est passée de 12 900 hectares à 75 300 hectares ; c’est-à-dire que sa superficie a été multipliée par 5,8, avec ce qui en découle, la perte de forêt, la pollution des eaux, l’invasion des terres et autres impacts socio-environnementaux.
Mais ces impacts n’affectent pas seulement l’écosystème fragile de l’Amazonie, ils portent atteinte aussi aux territoires indiens – qui représentent 37% du bassin amazonien – où ont été habituellement relevés les plus faibles indicateurs de déforestation. Cependant, l’inquiétude grandit sur la capacité réelle qu’ont ces territoires indiens à continuer à faire barrière contre la déforestation. Sans un soutien décisif et engagé de la part de l’État, la pression croissante des activités illégales qui impactent et menacent la forêt et les populations, très souvent par la violence directe exercée contre les personnes, sera de plus en plus difficile à supporter pour les communautés indiennes et en conséquence, pour les forêts qu’ils habitent et protègent.
Unipacuyacu lutte pour ne pas devenir un « cluster »illégal
La déforestation dans le bassin amazonien présente des aspects complexes qui oscillent entre légalité et illégalité, entre inefficacité institutionnelle et violence. C’est le cas dans la communauté originelle de Unipacuyacu, du peuple kakataibo, située dans le département de Huánuco ; une communauté prise au piège du trafic de terres, du narcotrafic, de l’abattage des arbres et de l’exploitation minière illégale. Au fil des jours, la communauté semble se transformer en « cluster » au sein duquel divers groupes, en toute illégalité, travaillent sur un même territoire et collaborent stratégiquement pour obtenir des bénéfices communs tirés de leurs activités illégales.
Depuis 26 ans, la communauté originelle réclame un titre de propriété qui garantirait leur droit sur le territoire, sans que les institutions compétentes aient répondu à leur demande. Au début, la surface demandée était de presque 23000 hectares mais, en 2022, pèse la menace d’appropriation territoriale sur plus de 17000 hectares, due à l’avancée des invasions légalisées par l’État qui crée des centres de peuplement ou des villages et les fait reconnaître par des gouvernements locaux. C’est une sorte de prédation de basse intensité. C’est le cas du centre de peuplement Nueva Libertad et des localités de Sabadillo et de San Francisco, où la déforestation ne cesse d’avancer.
Ce modèle de prédation des terres indiennes croit et se renforce avec l’implantation des activités illégales telles que le narcotrafic. Une grande partie de ces terres ont été déboisées pour semer des plantes de coca qui servent à l’élaboration de la cocaïne, d’après ce que constatent dans leurs études les techniciens eux-mêmes en charge du projet d’attribution de titres fonciers du Ministère du développement agraire…
Luis Hallazi