Le leader indien Felipe Quispe Huanca, surnommé le « Mallku », est décédé d’un arrêt cardiaque le 19 janvier 2021 à El Alto, alors qu’il se trouvait dans la maison de son fils, Santos Quispe – il était âgé de 78 ans. En décembre 2020, il avait présenté sa candidature au poste de gouverneur du département de La Paz, avec l’organisation politique Jallalla La Paz, et les premières enquêtes réalisées début 2021 le plaçaient en tête avec 25% des intentions de vote.
À l’occasion de son décès, DIAL a republié un article de Martín Cúneo paru dans le numéro de décembre 2011 de DIAL.
Felix Patzi, ministre de l’éducation durant les premières années du gouvernement du MAS, a comparé les contributions d’Evo Morales et de Felipe Quispe. « Je crois qu’Evo, comme Felipe Quispe, a déjà rempli sa mission historique. La mission historique de Felipe Quispe, entre 2000 et 2002, a été de réveiller la fierté indienne à la campagne et à la ville. La nouvelle génération est redevable du succès de cette mission historique. La mission historique d’Evo Morales a été de battre la droite en 2005 et à d’autres élections démocratiques. On se souviendra toujours du succès de cette mission, mais je crois qu’il n’a plus la capacité de remplir une autre mission historique, celle d’achever les transformations profondes, structurelles, dont le pays a besoin. »
Sur l’altiplano bolivien, au bord du lac Titicaca, Felipe Quispe est devenu l’une des références du mouvement indien. L’un des catalyseurs potentiels d’une société chamboulée et de mouvements sociaux qui ont renversé trois présidents en trois ans. L’autre candidat était Evo Morales.
Felipe Quispe, veste de cuir et chapeau noir, explique le dénouement de cette dispute tout en avalant la soupe de vermicelle du jour dans un bar de La Paz. Il saisit deux verres d’eau sur la table. « Il y avait deux verres, un d’eau tiède et un d’eau chaude. L’eau tiède, c’était Evo, moi l’eau chaude. »
« Ça aurait pu être Felipe Quispe, mais ça n’a pas été le cas – on a perdu là une occasion historique », déclare le sociologue aymara Pablo Mamani. « Evo représentait la solution intermédiaire la plus à même de faire admettre le fait indien, le populaire dans les sphères publiques du pouvoir. Felipe Quispe représentait la possibilité d’un changement structurel de l’État. La solution intermédiaire, Evo en l’occurrence, a été très stratégique pour des secteurs de la classe moyenne, modérée, éclairée, libérale qui craignaient d’être débordés par les Indiens, ce que Quispe projetait plus ou moins. »
Même si la figure de Felipe Quispe a perdu peu à peu de sa notoriété après l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2006, il continue d’être connu sous le nom de « Mallku », qui signifie condor en langue aymara et représente l’autorité la plus respectée dans une communauté. Sans ce personnage, il est impossible de comprendre l’histoire récente de la Bolivie. La restructuration du principal syndicat paysan, la CSUTCB, à la fin des années 1990, la révolte des Indiens de l’altiplano en 2000 et 2001 et le siège de La Paz en 2003 – trois événements auxquels Felipe Quispe a participé – ont marqué une période de luttes sociales conjuguées aux mobilisations pour l’accès à l’eau à Cochabamba et au blocus organisé par les cocaleros dans le Chapare.
Les origines
« Il faudrait remonter plus loin, au soulèvement de Tupaj Katari, quand, à la fin du 18ème siècle, les Indiens encerclent La Paz et tuent les Espagnols », déclare Felipe Quispe. « C’est le seul homme qui a fait trembler la couronne espagnole à l’époque. Et il est mort écartelé par quatre chevaux. Mais il a laissé derrière lui un héritage, un héritage immortel. Nous nous sentons les successeurs de Tupaj Katari, les continuateurs de son œuvre, et c’est pour cette raison que nous arborons son drapeau, tout comme le cœur de sa pensée, l’indianisme, que nous ont aussi transmis les anciens, nos grands-pères. » Tupaj Katari, à la tête de 50 000 Indiens, a assiégé La Paz durant six mois. « Je reviendrai et nous serons des millions », a-t-il promis avant de mourir, si l’on en croit la légende aymara. Cela se passait 30 ans avant les premiers cris d’indépendance proférés en Amérique latine…
Martín Cúneo