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Violence chez les Jummas du Bangladesh

Suite aux viols de deux jeunes femmes jummas et aux violences perpétrées contre la reine des Chakmas, la communauté jumma d’Europe et leurs amis ont manifesté le 26 février à Paris et le 2 mars à Genève.
Le 22 janvier 2018, deux jeunes filles jummas de la communauté Marma de 17 ans et 13 ans ont été violées et molestées apparemment par des membres des forces de sécurité à Bilai Chari dans la région de Rangamati dans les Chittagong Hill Tracts au Bangladesh. Les deux sœurs ont été ensuite transportées à l’hôpital en raison d’un besoin d’une intervention médicale et psychologique.

Ces violences sexuelles font suite à une opération de fouille aléatoire au village d’Orachari. Cette opération est menée par une patrouille du camp de l’armée de Farua à Digolchari, dirigée par l’adjudant Subedar Mizan. « Durant cette fouille, deux militaires sont entrés dans la maison des victimes et ont forcé leurs parents à sortir de la maison. Puis, l’un d’eux a violé la sœur ainée pendant que l’autre homme en uniforme le gardait avec le pistolet. Étant sous la menace d’une arme à feu, les parents de la fille se sont retrouvés sans défense alors que leur fille était violée. La sœur cadette de la victime de viol a également vécu une tentative de viol par le même groupe d’hommes.
 
Prévenu par les villageois, l’adjudant Subedar Mizan a promis la punition des coupables à condition qu’ils ne divulguent pas l’affaire. Il aurait même proposé de l’argent au père de la victime en échange de son silence » (source UNPO). Ces allégations sont niées par l’armée qui a refusé que les deux jeunes filles sortent de l’hôpital. Leur chambre, dont l’accès est refusé aux militants des droits de l’homme et aux journalistes, est gardée par des policiers.

Le 15 février 2018, la reine Yan Yan (l’épouse du roi Chakma) et une bénévole, venues à l’hôpital de Rangamati  pour soutenir les deux victimes et leurs parents, ont été agressées par un groupe d’une quinzaine d’hommes et de femmes masqués. Ce jour, vers midi, des policiers et une dizaine d’hommes en civil se sont rendus à l’hôpital et ont fait pression sur les parents des deux jeunes filles pour qu’ils les emmènent avec eux en produisant un ordre de la Haute Cour. Les victimes ont refusé de partir et se sont débattues. Elles se sentaient menacées par l’armée et avaient peur à leur retour d’être stigmatisées. Rani Yan Yan et les volontaires sont intervenues et ont fini par obtenir que les jeunes filles voient leurs avocats mais seulement 10 min. Vers 16 h, la police a ordonné à tout le monde de quitter les lieux, mais Rani Yan Yan et une volontaire sont restées. Vers 18 h, la police a verrouillé la pièce où elles se trouvaient, a chassé les personnes devant l’hôpital puis a fait éteindre les lumières. Vers 19 h 30, une quinzaine d’hommes et femmes en civil, masqués, sont entrés dans la salle où se trouvaient les deux victimes, leurs parents, un frère de 10 ans, Rani Yan Yan et une bénévole. Ces deux dernières ont été frappées à coups de pied et de poings, trainées dans le couloir, dans les escaliers puis séparées l’une de l’autre. Elles ont finalement réussi à s’échapper. La bénévole a vu des agresseurs mettre les victimes et leurs parents dans une camionnette. Elle a réussi à prévenir le roi Chakma qui a informé des faits la Haute Cour et la Cour d’Appel.

Les violences récentes, mais aussi récurrentes, rappellent sans cesse que la situation reste instable dans les Chittagong Hill tracts. Les violences sexuelles fréquentes, l’implication des forces de l’ordre dans la plupart des problèmes, l’impunité totale des agresseurs sont une réalité terrible. La reine ayant été violentée, qui peut se targuer de dire qu’il est à l’abri ? D’après les Jummas des Hill Tracts : personne !

Un bref rappel historique

Les Jummas, nom collectif donné aux onze peuples autochtones de la région des Chittagong Hill Tracts (CHT) au sud-est du Bangladesh sont ethniquement, culturellement et linguistiquement distincts du reste de la population du pays. Représentant près de 1 million de personnes, ils vivent sur leurs terres ancestrales dans les CHT.
Entre 1979 et 1984, le gouvernement, considérant le territoire jumma comme une terre vierge, a installé entre 350.000 et 450.000 Bengalis sans terre dans la région. La population bengalie a augmenté de 150% entre 1979 et 1991. La colonisation s’est accompagnée d’expulsions, d’incendies criminels et de violences à l’encontre des peuples autochtones. Les agressions sexuelles sur les femmes et filles jummas ont notamment été un moyen pour terroriser les communautés et les obliger à quitter leurs maisons. Privées de leurs moyens de subsistance, les communautés n’ont toujours pas reçu de compensation pour la perte de leurs terres. 

La résistance des Jummas à la colonisation a mené à une guerre d’une résistance jumma contre l’armée bangladaise (années 1970-1997) qui a fait plus de 10.000 victimes. L’Accord de paix, signé en 1997 par le Premier ministre actuel, Madame Sheikh Hasina, prévoyait :

1. le démantèlement des camps militaires non permanents dans les Chittagong Hill Tracts et la fin de la militarisation excessive de la région ;

2. la restitution des terres confisquées aux Jummas par l’armée et les colons et l’arrêt immédiat du processus de colonisation ;

3. une délégation de pouvoir aux institutions locales afin que les populations jummas puissent jouir d’une plus grande autonomie politique. 
Malheureusement, cet accord n’est pas respecté.
Minoritaires, les Jummas subissent toujours des violations de leurs droits et ont difficilement accès à la justice pour les faire respecter. Le rapporteur spécial de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations-Unies, Lars-Anders Baer, a affirmé que les populations jummas étaient victimes « d’arrestations arbitraires, de tortures, d’exécutions, de harcèlement […] et de violences sexuelles».
Les Jummas souffrent particulièrement de violences dans le cadre d’une militarisation excessive de leur territoire. D’après un rapport des Nations-Unies, un tiers de l’armée bangladaise est positionnée dans les Chittagong Hill Tracts alors que la région ne représente qu’un dixième de la superficie du pays et 1% de sa population. En 2012, l’International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA) estimait qu’il y avait 1 soldat pour 40 civils dans les Chittagong Hill Tracts contre 1 soldat pour 1.750 civils dans le reste du pays. 
Les Jummas, qui continuent d’être spoliés de leurs terres, sont encore aujourd’hui majoritaires dans la région mais sont devenus minoritaires dans le district de Bandarban et dans toutes les municipalités urbaines. Privés de leurs territoires et de leurs ressources naturelles, leurs activités traditionnelles s’en trouvent affectées. 



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