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Colombie : Nos sociétés de l’emballage détruisent les communautés du Sud

« J’ai vu comment les forêts primaires de ma commune et de mon territoire disparaissent, tout comme l’eau des ruisseaux et des rivières diminue », explique une militante paysanne de la région du Cauca, en Colombie. «Pour les multinationales, peu importe si l’eau s’épuise, peu importe si la forêt est endommagée, peu importe si les animaux doivent s’enfuir, peu importe, car ce qui compte, c’est le profit et la richesse ». Cette militante du peuple Misak participe aux actions de récupération des terres contre le fabricant d’emballages irlandais Smurfit Kappa.

Multinationale omniprésente mais largement invisible, Smurfit Kappa produit chaque année 11 milliards de mètres carrés d’emballages. Dans un monde où tout nous parvient sous emballage, il y a de fortes chances que votre dernière livraison de livres ou les biscottes qui se trouvent sur l’étagère de votre cuisine proviennent d’une boîte produite par l’entreprise. L’histoire de la construction de cet empire de carton s’étend loin de nos bureaux et de nos tables de petit-déjeuner, jusqu’aux forêts tropicales de Colombie.

L’accent mis sur la Colombie par Kappa est judicieux sur le plan commercial. Le coût de la main-d’œuvre est nettement inférieur en Amérique du Sud et le climat est bien adapté aux pins et aux eucalyptus non autochtones de leurs plantations. Mais pour les communautés locales, la présence de l’entreprise irlandaise n’a pas été une bénédiction.

Défense des terres et représailles
Les leaders indigènes et paysan·nes ont dénoncé les impacts environnementaux négatifs causés par la monoculture forestière de l’entreprise, notamment la disparition des forêts primaires et l’assèchement des cours d’eau. Depuis juillet 2021, des organisations indigènes et paysannes ont commencé à occuper des terres appartenant à Smurfit Kappa près du centre d’exploitation forestière de l’entreprise à Cajibío, dans le Cauca, exigeant que l’entreprise restitue les terres aux communautés qui en dépendent pour leur production alimentaire. Depuis lors, deux habitants, Huber Samir Camayo, 23 ans, et le leader indigène Juvencio Cerquera, ont été tués lors d’affrontements avec la police.

L’extractivisme est un processus par lequel les ressources économiques sont extraites des régions et des pays périphériques, généralement dans les pays du Sud, afin de maintenir les habitudes de consommation des pays riches et d’augmenter les profits des multinationales. Environ 40 % du territoire colombien a été concédé à des multinationales pour des projets d’extraction. L’exploitation minière est l’activité « extractive » par excellence, mais la monoculture agroforestière industrielle est un exemple de ces mêmes processus. 
Il existe un lien direct entre les monocultures de pins et d’eucalyptus, comme celles plantées par Smurfit Kappa, et l’extractivisme sous une forme de colonialisme qui remplace les plantes, les écosystèmes et les communautés indigènes au profit d’arbres non autochtones destinés à la consommation étrangère.

Ce déplacement alimente le phénomène de « dépaysannisation », c’est-à-dire l’éclatement des économies et des structures sociales traditionnelles indigènes, paysannes et afrodescendantes, provoqué par le passage, au cours des dernières décennies, de l’agriculture de subsistance à la production massive de canne à sucre, puis de coca pendant le conflit armé et, plus récemment, de monocultures de pins et d’eucalyptus. La militante communautaire, Andrea Sierra, décrit l’impact de ce processus sur les identités paysannes autrefois autonomes : « Cette identité culturelle se transforme en un·e travailleur·se, un ouvrier·e, un·e salarié·e ».

Pour América Niño, cependant, « nous pouvons voir le pouvoir d’une classe exploitante qui, comme dans le cas de nombreuses autres multinationales, est située dans le Nord global. Smurfit Kappa n’est qu’une des nombreuses multinationales qui nous exploitent en Amérique latine, car elles pensent que notre vie vaut moins que celles et ceux qui vivent ou qui sont né·es dans les pays du Nord ». Son analyse fait écho à la description de Naomi Klein des « zones de sacrifice, des endroits qui, pour leurs extracteurs, ne comptent pas et peuvent donc être empoisonnés, asséchés ou bien détruits pour le plus grand bien supposé du progrès économique ».

L’objectif de la campagne actuelle de récupération des terres est de « retrouver la possibilité pour une famille – pour une femme, un homme, des enfants, des personnes âgées – de vivre en autonomie ». Le peuple Misak attend avec impatience le moment où « l’entreprise quittera le territoire et où les terres utilisées pour la production de papier seront utilisées pour produire de la nourriture »…
LOINGSIGH Tomás

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